Le Messageur : Une SCOP qui facilite la communication des personnes malentendantes

Le Messageur : Une SCOP qui facilite la communication des personnes malentendantes

Comment le Messageur tente de faciliter la vie en entreprise des personnes malentendantes. Portrait de Samuel Poulingue, co-fondateur de la SCOP.

Le collectif comme fil conducteur

Samuel a travaillé pendant plusieurs années en animation socioculturelle après avoir obtenu un DUT Carrières Sociales. Pendant cette période, il s’est intéressé notamment à la force du collectif. Comment réussir à mener des projets ensemble ? Voilà une question qui le préoccupait et qui l’anime encore aujourd’hui.

Il finit par arrêter l’animation pour rejoindre une structure dans laquelle il accompagne des projets d’utilité sociale. C’est en accompagnant l’Association des Devenus Sourds et Malentendants ( ADSM) de la Manche pour la création d’un emploi aidé, qu’il finira lui-même par occuper ce poste en 2009. Cette mission lui a fait découvrir ce sujet qu’il méconnaissait. Comme beaucoup de personnes, il croyait que les personnes malentendantes ne communiquaient qu’en langue des signes. Or, ceux qui communiquent en langue des signes ne représentent qu’un faible pourcentage de la population concernée par le handicap auditif : 1%. La grande majorité communique par oral et en français.

Beaucoup de malentendants ont perdu l’audition au cours de leur vie. Ils parlent normalement et perçoivent du son mais ne comprennent pas toujours la parole. Ils sont gênés quand il y a des bruits autour d’eux. Dans un contexte professionnel par exemple, tout devient compliqué quand ils veulent participer à une réunion.

La mise en mouvement grâce à la loi Handicap de 2005

« Ce qui m’a mis en mouvement c’est la loi Handicap de 2005. Avant 2005, les personnes en situation de handicap devaient s’adapter à la société. On disait couramment qu’elles étaient inadaptées. Même si on entend encore parfois cette expression, cette loi a contribué à faire changer les mentalités : c’est la société qui créé des handicaps. C’est donc à la société de s’adapter.

Pour le handicap moteur, on doit supprimer les obstacles visibles, aménager l’espace. Pour le handicap auditif, invisible, c’est plus difficile à appréhender. Les appareils auditifs sont une solution médicale indispensable mais insuffisante. Il est nécessaire d’aller vers une solution sociétale en créant des moments inclusifs au cours desquels on mélange technologie et savoir-être. L’enjeu : comment faire pour que les situations hostiles aux personnes malentendantes deviennent des situations inclusives ? Comment organiser la manière de communiquer ? »

"On doit tous s’adapter pour inclure une personne malentendante dans une conversation."

Samuel Poulingue

Une rencontre, celle de Jean-Luc Le Goaller

En 2010, Samuel rencontre Jean-Luc Le Goaller, qui deviendra son acolyte. Jean-Luc était alors intervenant pour le Bucodes SurdiFrance, fédération nationale des associations de personnes malentendantes. Il travaillait sur l’accessibilité des réunions aux participants malentendants à travers le sous-titrage en temps réel. Cette technique donnera naissance au métier d’interprète de l’écrit. Pourtant éloigné de ce sujet initialement, Jean-Luc travaillait dans l’élevage et l’agriculture, il va s’en rapprocher car il y sera confronté dans sa vie personnelle. Père d’un enfant sourd et autiste, c’est en essayant de trouver des solutions pour aider son fils qu’il est venu à les créer lui-même.

Au moment de sa rencontre avec Jean-Luc, Samuel ne savait pas écrire à la vitesse de la parole et personne au sein de l’ADSM ne le savait non plus. Jean-Luc venait former les membres de l’association. Samuel et lui étaient sur la même longueur d’onde, ce qui les amena à créer la Scop Le Messageur en 2012, avec une envergure nationale.

Le Messageur, un acteur innovant

Outil de sous-titrage de la scop le messageur

Sous-titrages (photo : Frédérique Jouvin)

« Ensemble, nous avons continué à travailler sur les sous-titrages en formant des interprètes de l’écrit.

Un interprète de l’écrit écoute ce qui se dit, le dicte dans son micro avec la ponctuation. Le texte s’affiche, il le relit en même temps pour vérifier, corrige au clavier si nécessaire. Tout cela en continuant d’écouter les échanges. C’est un art, une méthode difficile à acquérir. C’est un nouveau métier que nous développons, un métier d’avenir.

Nous savions aussi que les appareils auditifs, aussi performants soient-ils, restaient insuffisants dans plusieurs situations. Ils permettent de mieux comprendre le son mais lorsqu’il y a du bruit autour, la compréhension est perturbée. Cela nous a amené à travailler sur une solution : un micro supplémentaire qui se tient à la main. Ce micro ne capte que le son de la voix qui parle. En parallèle, nous nous sommes aperçus que ce « bâton de parole » était un élément central de la communication. Grâce à lui, une seule personne s’exprime à la fois et tout le monde peut voir qui parle.

Nous avons également créé la valise Diluz ( nom breton qui signifie la solution ), une solution mobile, plug and play qui s’adresse aux entreprises. Elle comprend :

  • Une sono avec 4 micros (bâtons de parole)
  • Une enceinte qui améliore la qualité d’écoute
  • La transmission du son directement dans les appareils auditifs grâce à une boucle magnétique
  • La connexion, via internet, à un interprète de l’écrit à distance qui réalise un sous-titrage en temps réel des échanges

Nous avons développé aussi la petite Diluz : La Diluzig, plus légère, qui comprend seulement 2 micros.

Ces équipements restant assez lourds à transporter, nous développons l’application Messag’in grâce à laquelle les personnes qui sont en réunion vont pouvoir connecter leurs smartphones entre eux. Une seule personne peut s’exprimer dans le micro, les autres smartphones reçoivent le son de sa voix. Un sous-titrage en temps réel réalisé par un interprète peut aussi s’y afficher. »

De ces innovations découlent des services

« A partir de ces savoir-faire, nous avons créé des prestations en réponse à la loi de 2005 autour de 3 piliers.

**Le premier pilier **est de rendre accessible des évènements et réunions grâce à la production de sous-titres en temps réel et une sonorisation adaptée.

Le deuxième pilier consiste à travailler avec des entreprises et des acteurs du maintien dans l’emploi pour mettre en place des solutions d’aménagement de postes de travail pour permettre aux personnes malentendantes de travailler en toute autonomie. Nous identifions l’ensemble des obstacles, leur faisons tester les outils les plus adaptés et accompagnons leur mise en place avec l’entourage professionnel.

Notre dernier pilier est de former et de sensibiliser sur le sujet de la malentendance.»

Le bilan des 8 premières années

« Le bilan est positif, nous savons grâce aux retours des personnes accompagnées que nos solutions fonctionnent. L’approche autour du son, avec les outils dont nous disposons, nous sommes les seuls à les proposer. Il est important pour nous de récolter les témoignages de ces personnes, ce sont nos meilleures ambassadrices.

Nous avons défriché un marché, nous continuons à avoir un fort travail à faire pour nous faire connaître. Une de nos difficultés est que les personnes malentendantes elles-mêmes ne savent pas qu’il existe des solutions, au-delà des appareils auditifs et les sollicitent donc peu. Nous nous appuyons sur des prescripteurs comme les associations pour nous faire connaître. »

Quelles sont les perspectives d'avenir pour le Messageur ?

équipe de la scop le messageur

L'équipe (photo : Frédérique Jouvin)

« Nous avons encore une marge de progression pour développer des outils plus universels.

Nous avons développé une équipe, créé des emplois, notamment à Rennes 7 salariés dont 3 interprètes de l’écrit et une quinzaine de prestataires externes. Nous emménagerons dans de nouveaux bureaux à Rennes début 2021, à la Maison des Scop.

Par ailleurs, il n’existait pas de diplôme jusqu’à présent pour le métier d’interprète de l’écrit, nous souhaitons que ces compétences soient reconnues à travers un diplôme. Nous travaillons en partenariat avec l’Université de Strasbourg qui propose un Master de « Traduction et accessibilité audiovisuelle ».

Notre rêve commun au sein de l’équipe est que les solutions du Messageur deviennent incontournables et contribuent à améliorer la communication des personnes malentendantes. »

Pour découvrir le Messageur : https://www.lemessageur.com

Crédits Photo : photographe "Frédérique Jouvin"

Alexia Neveu

Alexia Neveu

Créatrice de Beyond Rugby

Après 7 années passées en agences de publicité et chez leboncoin, Alexia créé en 2019 Beyond Rugby ainsi qu'un podcast Trajectoires dans lequel elle interroge d’anciens rugbymen professionnels sur leur reconversion. Sensible à l’économie sociale et solidaire, elle nous propose des portraits de personnes travaillant dans l'ESS.

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